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Reportage

La collecte, une affaire qui roule depuis quarante ans

Entendre le camion-poubelle est devenu un son familier. Il y a cinquante ans, ça n’existait pas. À Lannion (Côtes-d’Armor), tout s’est joué au tournant des années 1980.

Pourriez-vous imaginer des montagnes de déchets sur le pas de votre porte ? C’est en 1975 qu’une première avancée est réalisée dans la prise en charge des ordures. La loi du 15 juillet de cette même année oblige les communes à collecter et à éliminer les déchets des ménages. A Lannion (Côtes-d’Armor), les bulletins municipaux de 1978 décrivent une collecte de déchets ménagers quasi quotidienne. Mais des faiblesses sont régulièrement pointées du doigt. 

Les conteneurs ne sont pas encore exploités. Les habitants utilisent des poubelles sans couvercle, à l’origine de tas de déchets. Ils s’entassent dans les rues et se dispersent, pour le bonheur des chiens et chats, et au désarroi des habitants. Coûteuse, la collecte, mais surtout les lieux de stockage des déchets ne suffisent plus. De leurs côtés, les éboueurs doivent soulever ces poubelles, lourdes et malodorantes, avant de verser leur contenu dans la benne du camion (voir photo ci-dessous). Il faut attendre la généralisation des gros conteneurs dès 1980, puis des conteneurs individuels sur roulettes pour résoudre en partie ces deux problèmes. L’arrivée de la première benne porte-conteneur, en 1981, termine de grandement simplifier leur travail.

Collecte des déchets ménagers, extrait du bulletin municipal de Lannion, mai 1980

Avant l’arrivée du Smitred (Syndicat mixte pour le tri, le recyclage et l’élimination des déchets) en 1992 et du plan multi-filière Valorys en 1997, il n’y avait pas de tri, ni de recyclage. A l’époque, l’enfouissement et l’incinération sont largement répandus. « Les ordures ménagères partaient à l’usine de compostage à Pleumeur-Bodou, ouverte en 1983. Les ordures non-ménagères, elles, étaient récupérées une fois par mois pour être enfouies directement à la décharge du Bois Thomas », témoigne un ancien responsable des voiries et des décharges de Lannion, en poste entre 1990 et 1994. A Lannion, on dénombre quatre anciennes décharges, dont celle de Bois Thomas, exploitée de 1987 à 1997. Jean-René Le Huerou travaillait pour le Smitred au début des années 1990. Il creusait des fosses et y poussait les déchets, apportés par les camions poubelle.



« Les collectivités sont en retard »

Loin des décharges sauvages, celles-ci sont dites « contrôlées ». Ce sont en fait les communes qui louent des terrains à des particuliers pour y installer des décharges. Elles s’engagent à les recouvrir de terre à la fin de l’exploitation. Mais le terme « contrôlées » est à nuancer. « A l’époque, il y avait un manque de conscience écologique. On ne se cassait pas trop la tête. On faisait un trou et on y mettait les déchets. Il n’y avait pas autant de contrôles qu’aujourd’hui », explique Marie-Dominique Loÿe, enseignante-chercheuse en environnement au Centre de formation pour l’environnement et la société (Ceres).

A la même époque, la consommation de masse conduit à une augmentation des déchets. Entre 1960 et 2005, « leur quantité a été multipliée par deux en France », développe la chercheuse du Ceres. La généralisation de nouvelles matières produites en grande quantité, comme le plastique, y participe grandement. « Dans les années 1960, il existe deux principaux types de déchets. D’abord, il y a les bio-déchets et les ordures alimentaires des ménages. Ils produisent un jus très enrichi en matière organique, mauvais pour les eaux en cas d’infiltration. Ensuite, les substances toxiques comme les métaux lourds des piles ou des produits ménagers », complète l’enseignante-chercheuse. Les sols et cours d’eau alentour se retrouvent alors pollués.

De leur côté, de nombreux habitants font état d’odeurs nauséabondes, de rats et des va-et-vient de camions poubelles. « J’étais le premier à m’en plaindre. A Ploubezre, ils enfouissaient à côté de la ferme de mes parents. On retrouvait des déchets dans les champs », raconte Jean-Yves Menou, directeur du Smitred de sa création jusqu’à 2020. En 1992, la loi Royal impose la valorisation des déchets ménagers et interdit la mise en décharge. Mais l’arrêt de l’exploitation de ces décharges prend du temps. « Les communes essayent de suivre le flux, ça coûte de plus en plus cher. Elles sont en retard par rapport aux lois mises en place », déplore Marie-Dominique Loÿe. « Il y a aussi beaucoup de lobbies qui tirent leur profit de l’enfouissement et qui exercent une pression à tout niveau. » Ces décharges ont aujourd’hui été enfouies par de la terre ou de la végétation, sans avoir été vidées de leurs déchets.


Reportage sur l’enfouissement des déchets dans le Trégor, avec Tanguy Rochard habitant du Trégor et Marie-Dominique Loÿe enseignante-chercheuse en environnement au Ceres.
Interviews réalisées par Inês Alves-Chaineaud.

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