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Reportage

« En arrivant ici, j’ai cru être chez les fous » : au cœur du centre de tri trégorrois de Valorys

Ils sont la dernière étape du processus de tri des déchets. Au quotidien, les opérateurs doivent se contorsionner pour veiller au respect des consignes, quitte à mettre leurs corps en danger. Reportage dans un centre de tri à Pluzunet, dans les Côtes-d’Armor.

La cabine de tri est calme, les douleurs de la veille encore endormies. Les tapis roulants sont à l’arrêt, vierges de tout carton, bouteille en plastique et journal. Progressivement, des femmes et des hommes, d’âges différents mais à l’allure déterminée, pénètrent dans le centre de tri. En file indienne, tous se dirigent vers Catherine Salaun, responsable de ligne. Les instructions sont concises : « Martine, table JRM1 A ». Les tables, ici, ce sont ces îlots composés d’un tapis roulant, de plusieurs postes de travail et de poubelles dites « refus » en cas de déchets indésirables. Elles sont au nombre de six dans le centre de tri de Valorys, à Pluzunet dans les Côtes-d’Armor. Chaque opérateur de tri est orienté vers l’une d’elles pour la matinée. Avant que la journée ne débute, chacun règle son environnement de travail. L’objectif est simple, éviter les blessures.

Quelques minutes avant l’allumage des machines, on indique à chaque opérateur de tri sa table de travail pour la matinée. (Crédit Pacôme Bassien)

Les horloges digitales, placées de part et d’autre de la pièce, sonnent les derniers éclats de rire. Les gants sont enfilés et la concentration fige les visages. Il est 7 h 45, les machines démarrent.

Bruit, odeurs, gestes répétitifs…

Le calme n’est plus. Un vrombissement jaillit crescendo, les roulements des tapis débutent leur course et les mains s’activent au-dessus des premiers déchets. Alors que les tapis dévorent entre 20 à 30 mètres toutes les minutes, soit entre 33 et 50 centimètres chaque seconde, selon le type de rebut, un mouvement inapproprié pourrait venir enrailler tout le processus.



Outre la vigilance constante que les opérateurs de tri doivent exercer, d’autres facteurs donnent à ce métier un côté difficile, voire pénible. Debout toute la journée, ils sont séparés de quelques mètres de leurs collègues. Le bruit ne permet pas d’engager une réelle conversation, les odeurs sont parfois gênantes et les gestes répétitifs accentuent le sentiment d’isolement de ces professionnels.

Des animaux morts et d’autres… vivants !

« Le pire, c’est peut-être les animaux morts, lâche Catherine. Pendant la période de la chasse par exemple, on voit beaucoup plus de peaux de sangliers. Dès qu’un cadavre entre dans le centre de tri, on le sent tout de suite, l’odeur est nauséabonde. Mais on n’a pas le choix, on doit sortir l’animal du tapis. » Il finira dans une poubelle.

Mais là n’est pas le plus répugnant aux yeux des opérateurs de tri. Et pour cause, des chatons et des rats – vivants – se sont déjà invités sur les tapis ! « Une fois, on a dû tuer cette bestiole de rat à coups de pelle ! », s’en amuse une opératrice, plus vraiment étonnée par ce genre de scène. « Non le pire, reprend la cheffe de ligne, dix-sept ans de service au compteur, ce sont les couches pour adultes », balaye-t-elle d’un revers de la main, dégoûtée.

Moderniser pour éviter les troubles musculo-squelettiques

Pour les déchets les plus indésirables comme pour les autres, les opérateurs de tri disposent d’un équipement spécifique. Ils portent des gants, des vêtements fournis par l’entreprise, allant du pull au tee-shirt, et un masque. Les lunettes de protection ainsi que les bouchons d’oreilles ne sont pas obligatoires. Les postes de travail, eux, ont été améliorés depuis la modernisation du centre de tri en 2012. Ainsi, des rehausseurs permettent aux salariés d’adapter la hauteur de la table à leur taille pour diminuer les courbatures. La radio, le chauffage et la climatisation ont aussi été installés pour un meilleur confort.

Tous les postes de travail sont munis d’un rehausseur afin que les opérateurs se positionnent suivant leur taille. (Crédit Pacôme Bassien)

Des télévisions ont même été accrochées dans le centre de tri. Elles diffusent notamment des paysages ou des images d’animaux, « pour qu’ils ne voient pas exclusivement des déchets toute la journée », explique Éric Robert, président de Valorys.

Un dernier point qui relève davantage du confort que de l’ergonomie – à savoir l’incidence de l’environnement sur le travail -, analyse Maria Laugier, ergonome au centre Santé au travail en région morlaisienne. « Sur ce genre de problématique, on travaillera surtout sur des mesures organisationnelles pour limiter les TMS [Troubles musculo-squelettiques, NDLR], comme des tables en ligne. Il y a une notion de répétitivité des gestes sur laquelle on ne va pas toujours pouvoir agir de façon très élevée car il y a une cadence qui est imposée par la vitesse du tapis, détaille-t-elle. Mais en améliorant les conditions de travail, on doit aussi être plus efficaces en étant moins fatigués. »

« Je ne ferai pas ça toute ma vie »

À Valorys, dix-sept opérateurs gèrent ce que les machines n’ont pas réussi à trier. Ils sont en effet la dernière étape du processus. Bien que l’usine soit automatisée à 90 %, le tri final manque souvent de bras. Le centre de gestion des déchets recrute alors des intérimaires afin de combler les effectifs. Laurine Saliou est l’une d’entre elles. Après un Bac pro commerce, la jeune femme de 21 ans n’a pas réussi à trouver une alternance et s’est donc lancée dans ce parcours, en attendant. « Je trouve ce travail enrichissant car on apprend à bien trier les déchets, mais je ne ferai pas ça toute ma vie, c’est assez physique », souligne-t-elle.

Laurine, 21 ans et intérimaire, trie des emballages de plastique dur. (Crédit Pacôme Bassien)

Pour Louis en revanche, la sensation est toute autre. « En arrivant ici la première semaine, j’ai cru être chez les fous ! Le bruit, les odeurs, la vitesse du tapis, c’était trop… » Architecte de formation, le métier d’opérateur de tri qu’il exerce depuis six mois n’est que transitoire, le temps de retrouver un emploi ailleurs.

Comme la majorité, Louis est payé un peu plus que le Smic (1 231 € net). Pas assez cher d’après Sandrine, opératrice de tri de 46 ans, au vu des conditions de travail et le peu d’estime de la population pour son métier. Et le « mal » qui la hante ne l’incite pas à orienter ses enfants dans cette voie professionnelle. « Je leur déconseille de venir travailler à Valorys. Je me suis déjà tordue le genou et eu une entorse suite à une chute sur une bouteille en plastique », se souvient-elle.

Une mauvaise expérience qui se renouvelle fréquemment à Valorys. Depuis le début de la crise sanitaire, les débris de verre et plus particulièrement le matériel médical, comme les seringues, défilent plus souvent sous les yeux des opérateurs de tri. La direction n’a, pour l’heure, pas encore trouvé de solution satisfaisant le personnel. Dans le centre de tri, une poubelle est dédiée à ce genre de piquants. Une benne spécifique permettrait peut-être d’améliorer encore les conditions de travail.


Valorys, je t’aime moi non plus

Par Jade Duong

Martine Thomas est employée à Valorys depuis 2009. Toutes les semaines, pour cette cheffe de ligne, c’est la même musique : café, cigarettes, tri des déchets, pauses, reprises du travail… Les gestes répétitifs sont dangereux pour sa santé physique et mentale. Bien qu’elle « aime son travail », elle développe, en raison de celui-ci, des Troubles musculo-squelettiques (TMS). Portrait d’une cheffe de ligne.


Par Jade Duong