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Valorys, Lannion-Trégor et Guingamp-Paimpol, un trident qui grince

Depuis 2017, le centre de tri des déchets Valorys a progressivement perdu en pouvoir de décision au profit de Lannion-Trégor Communauté et Guingamp-Paimpol Agglomération, avec qui Valorys entretient des relations contrastées.

« Lors de mes dernières années à Valorys, j’ai souffert », confie Jean-Yves Menou, président fondateur du centre de tri jusqu’en 2020. Tout a basculé en 2017, année de l’entrée en vigueur de la loi NOTre, qui visait à regrouper les communautés de communes en grosses structures. Le paysage institutionnel du Trégor a été fortement chamboulé. Les dix agglomérations établies sur le territoire se sont regroupées en deux institutions : Lannion-Trégor Communauté (LTC) et Guingamp Paimpol Agglomération (GPA), qui devenaient donc les seuls interlocuteurs de Valorys. Cette centralisation des services, avec des membres plus qualifiés et attentifs, devait simplifier les échanges et le travail collaboratif avec le syndicat mixte de traitement des déchets. Mais pour le centre de tri des déchets de Pluzunet, cette loi a marqué le début d’une autre vie, avec de nouvelles contraintes. Car cette gouvernance à trois têtes n’a jamais été simple. 

La répartition des tâches est pourtant restée la même : les agglomérations se chargent de la collecte, et Valorys du tri. Dès le début de la réorganisation, Jean-Yves Menou a « senti les problèmes arriver ». Premier désaccord : les agglomérations ont fortement songé à supprimer le service communication de Valorys pour le fusionner avec les leurs. « Il a fallu batailler ferme pour montrer la pertinence d’en maintenir un chez nous. Au final, on a réussi », se souvient Dominique Bardini, directeur technique du centre de tri. Interrogé à ce sujet, François Prigent, membre permanent chargé des déchets à LTC, ne nie pas la qualité du travail de communication de Valorys, mais le voit comme une dépense évitable. « L’intérêt des agglos serait de conserver le savoir-faire actuel. Mais pourquoi créer trois services de communication distincts impliquant des coûts supplémentaires ? » 

À Valorys, un sentiment de mise « sous tutelle » 

Rapidement, GPA et LTC ont cherché à gagner en pouvoir de décision sur les questions de traitement des déchets. Ce qui n’a pas plu à Valorys, qui avait auparavant la mainmise sur ces sujets. « Les deux hommes politiques à la tête des agglomérations voulaient mettre la main sur le piano et dicter ce qu’on devait faire. Je ne l’ai pas du tout accepté, tout simplement parce que c’est contraire à la loi : Valorys doit avoir 100 % de pouvoir sur les solutions de traitement, s’énerve Jean-Yves Menou, d’un ton sec. Ça a engendré des clivages, des affrontements même. » Y compris dans les journaux, où l’ancien président de Valorys n’hésitait pas à critiquer certaines décisions de LTC. Dans les colonnes de Ouest-France, il a par exemple dénoncé la mise en place d’une redevance sur les déchets verts en déchetterie : « ça risque d’encourager les dépôts sauvages et le brûlage », craignait-il. 

Ce n’est que la partie visible des relations tendues entre les trois institutions, détériorées par le sentiment de perte de pouvoir de décision et de proposition ressenti du côté du centre de tri. « Quand on voit le pouvoir qu’on avait à l’époque, on se sent presque mis sous tutelle aujourd’hui », regrette Magalie Quelenn, chargée de la communication de Valorys. Interrogé à ce sujet, François Prigent a nuancé ces propos. « Il n’est pas question qu’il y ait une mise sous tutelle de qui que ce soit, mais effectivement, la donne a changé ». Avant 2017, le centre de tri était moteur de nombreuses initiatives, à l’image de la collecte sélective généralisée des emballages lancée en 2012. Valorys apparaissait comme « l’outil de prédilection pour résoudre tous les problèmes en matière de traitement des déchets », se remémore Dominique Bardini. Aujourd’hui, cette époque semble révolue, tant les agglomérations resserrent les boulons. « On est moins force de proposition, c’est sûr. On a moins de marge de manœuvre sur tout ce qu’on voudrait mettre en place. En ce sens, ça peut être perçu comme une perte d’autonomie », concède Dominique Bardini.

« Le budget, c’est le nerf de la guerre »

Ce changement de rapport de force est contraignant pour la direction de Valorys, surtout lorsqu’elle doit gérer des désaccords réguliers avec les agglomérations. L’objet des différends est quasiment toujours le même : l’argent. « C’est le nerf de la guerre », sourit Dominique Bardini. Avant 2017, « le budget n’était jamais discuté », se souvient-il. Maintenant, chaque année, c’est le débat sensible entre les trois institutions. « Il y a des discussions certes, mais ce ne sont pas des négociations. Personne n’essaye de faire de bénéfices », précise François Prigent. Comme pour se raccrocher au pouvoir qu’il reste à Valorys, Dominique Bardini rappelle toutefois que « si les agglos ne votent pas le budget, il s’imposera à eux de toute façon. C’est nous qui avons le dernier mot ».

Chacun défend ses intérêts, alors les discussions sont souvent houleuses. D’un côté, les agglomérations, qui ont des restrictions budgétaires très strictes (1% d’augmentation maximum par an). De l’autre, Valorys voit ses taxes augmenter, ce qui peut gonfler son budget jusqu’à 10 %. « C’est difficile à appréhender. Ensemble, on est en recherche permanente de solutions. Forcément, il peut arriver que les choses se tendent un peu et que ça génère du conflit. Mais on finit toujours par s’accorder », rassure le directeur technique de Valorys. Depuis 2020, toutes les parties s’accordent à dire que les relations entre Valorys et les agglomérations se sont nettement améliorées. Pour Jean-Yves Menou, cet apaisement s’explique encore une fois par des questions budgétaires. « Les agglomérations pensaient qu’on avait une dérive financière. On a fait un audit qui a prouvé que ça n’était pas le cas. Depuis, ça se passe mieux. » 
Si les relations sont devenues plus saines, c’est aussi parce que les institutions sont parvenues, ensemble, à maintenir un budget stable à force de réorganisations, malgré la nette augmentation de la quantité de déchets. Le seul problème est qu’à terme, le centre de tri aura besoin de vrais investissements pour perdurer sainement. Et la lumière ne peut venir que de Lannion-Trégor Communauté et Guingamp-Paimpol Agglomération, qui représentent 80 % des rentrées d’argent de Valorys. Alors, Jean-Yves Menou tire la sonnette d’alarme. « Pour LTC, c’est compliqué de suivre, car ils ont des obligations financières ou des priorités qui m’échappent, mais si Valorys ne continue pas à avancer en se modernisant, en s’améliorant, on le paiera très cher demain. » Des solutions devront donc être trouvées. Une fois encore, main dans la main.



Interview : La gestion des déchets, lorsqu’elle a été transmise aux intercommunalités

Interview de Jean-Jacques Monnier, historien et géographe spécialiste de la Bretagne – Présentation : Maëlenn Nicolas – Cadreurs : Jade Duong et Jili Martin

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