TITRE +CHAPO DE GERMAIN


Une déchetterie du futur au service des Trégorrois ?

Redéfinir ce qu’est un déchet, c’est le but de l’Objèterie de Lannion. Un jardin potager à côté des bennes, une boutique qui remet en vente des objets de récupération de l’autre côté de la rue : cette déchetterie singulière sensibilise les habitants du Trégor à une gestion plus écologique de leurs déchets. 

Un lieu de vie et la deuxième déchetterie du Trégor en termes de fréquentation par heure. Il y a toujours du monde à l’Objèterie : des agents de la déchetterie, aux visiteurs, en passant par les travailleurs de la recyclerie ou du jardin potager ou encore les groupes d’adultes et classes d’enfants venant assister aux ateliers de sensibilisation. 

Cette « déchetterie du futur » a pour ambition de promouvoir une gestion plus écologique des déchets. Pour Christophe Kergoat, responsable adjoint de l’Objèterie, si le Trégor est numéro un en Bretagne en matière de tri des déchets, ce titre n’est pas à prendre pour acquis. Il explique : « L’Agglomération nous alerte régulièrement, beaucoup de déchets sont mal triés. Les enfants sont les mieux placés pour faire une piqûre de rappel à leurs parents. »

Des ateliers de sensibilisation pour tous les âges

Changer des bouteilles d’eau en maracas, ou encore parcourir le jardin potager et ses plans de lavande. Mardi 21 septembre, les activités de sensibilisation au traitement des déchets faisaient leur rentrée pour les groupes scolaires à la déchetterie de Buhulien.  « Ce sont des animations en lien avec l’environnement, proposées à toutes les écoles de l’Agglomération », explique la professeure accompagnante de l’école de Caouënnec, Mme Capitaine. « Cela permet d’illustrer ce qu’on voit en classe, en changeant de support et en manipulant. » Les groupes scolaires sont très demandeurs : une semaine après la publication du calendrier des ateliers de l’année, tout est complet jusqu’aux vacances de la Toussaint. Pour le gérant de l’Objèterie, cet engouement n’est pas étonnant : « Plus tôt ils apprennent et plus le résultat est probant. »

Les enfants de l’école de Caouënnec visitent le jardin potager de l’Objèterie en compagnie de “Monsieur Compost”, Envel Le Troadec

Une sensibilisation qui se fait auprès des groupes d’atelier comme des passants. L’association la Régie de Quartier a installé un jardin potager au sein même de la déchetterie pour limiter l’impact des déchets verts ou « pseudo déchets », comme les appelle Envel Le Troadec, gérant du compost de la régie de quartier. « On essaie de montrer que ces déchets sont aussi une ressource : les pelouses et feuilles mortes peuvent faire du paillage », dit-il. « Le jardin donne un exemple de possibilité d’aménagement qu’un particulier peut mettre en place chez lui, tout ça dans une démarche de sensibilisation au zéro-phytosanitaires. » 

« Certains pensent qu’à partir du moment où ils recyclent leurs déchets, ils n’auront pas d’impact sur l’environnement, mais c’est faux »

Pendant que certains enfants visitent le jardin avec « monsieur compost », Envel Le Troadec, d’autres sont en atelier sonore avec Tanguy Rochard, intervenant au Centre de découverte du son à Cavan, il propose un atelier « recupéra’son » qui consiste à prendre des objets du quotidien pour les changer en instruments de musiques rudimentaires. Pour lui, si le tri est important, c’est en amont que le travail doit être fait, il décide de parler un peu aux enfants du zéro déchet, style de vie qui consiste à réduire ses déchets en consommant en vrac ou en faisant ses cosmétiques et produits ménagers à la maison, un concept plus lointain pour les petits. « On sensibilise beaucoup au tri, les plus jeunes savent ce qu’on met dans une poubelle jaune, mais ils ne pensent pas à l’idée d’acheter moins de plastique en amont. » Thierry Zuili, de l’association Zero Waste France, fait le même constat.

Si le tri est entré dans les mœurs, le zéro déchet met plus de temps à s’imposer comme un mode de vie viable. Selon le chargé de la sensibilisation citoyenne de l’ONG, c’est parce que beaucoup pensent que ce n’est pas un concept abordable : « On dit que c’est coûteux de passer au zéro déchet mais c’est parce qu’on fait l’amalgame avec le bio », explique-t-il. « En vérité, cette manière de consommer peut même être une source de gain : en achetant en vrac, en buvant de l’eau du robinet… » Pour le représentant de l’association, il faut arrêter de glorifier le tri à outrance : « Certains pensent qu’ils peuvent consommer comme ils le souhaitent, à partir du moment où ils recyclent leurs déchets, ils n’auront pas d’impact sur l’environnement, mais c’est faux. »

Tanguy Rochard, intervenant au Centre de découverte du son à Cavan, installe son atelier “Récupera’son”

Pour certains, le recyclage reste pourtant compliqué à mettre en place. Le responsable adjoint de l’Objèterie considère qu’il y a trois catégories de personnes qui viennent à la déchèterie de Lannion : « Les enfants qui viennent aux animations et qui sont très sensibilisés parce que c’est dans leur programme scolaire, les personnes entre 20 et 50 ans, qui ont un intérêt pour le tri et essayent de moins consommer et les plus de 50 ans, qui viennent comme à une déchetterie classique. »

S’il est dur de changer certaines mentalités…

Pour d’autres, un endroit comme l’Objèterie, malgré sa démarche écologique, bouscule trop leurs habitudes. « Il y a des personnes qui viennent de Ploubezre (à 3km de Lannion), ils passent par ici mais continuent jusqu’au Faou (au sud du Finistère) pour emmener leurs déchets verts », raconte Kergoat. « Ils sont habitués à autre chose, des petites déchetteries avec de la convivialité et le grand bâtiment de l’Objèterie leur fait presque peur. » Et pour cause, peu nombreuses sont les personnes qui s’imaginent renouveler leur vaisselle ou visiter un jardin en allant vider leurs poubelles.  La sensibilisation de « la déchetterie du futur » a pour vocation de changer les mentalités autour de ce à quoi devrait ressembler une déchetterie. « Ces espaces ont été mis en place à une époque où chaque commune gérait ses déchets mais aujourd’hui on ne peut plus se permettre de garder autant de déchetteries », justifie Christophe Kergoat.

…la communication de la “déchetterie du futur” semble être effective

L’idée qu’un déchet peut s’avérer être une ressource et servir de compost comme pour les déchets verts ou être remis en état et vendu, comme pour les objets qui passent à la recyclerie, se développent de plus en plus. Comme l’explique François Prigent, conseiller délégué en charge des déchets à l’Agglomération Lannion Trégor Communauté, « L’Objèterie est la déchetterie qui enregistre à présent la plus grande fréquentation sur le secteur en tonnage cumulé, avec 18 000 tonnes. »

Justine Segui


La Recyclerie, un « booster d’insertion »

Ils redonnent une seconde vie aux meubles comme aux jouets abandonnés à Lannion. Des hommes et femmes aux parcours sinueux, bien décidés à aller de l’avant. Entre développement personnel et durable, ces petites mains de l’atelier de la Recyclerie ont choisi l’insertion pour retrouver un emploi pérenne. Ils réparent des objets, ou l’inverse. 

Lydia a récupéré un tabouret qu’elle ponce, puis repeint. De ses mains, l’objet obtint une seconde vie quand, de cet artisanat, la travailleuse en insertion y trouve une seconde chance.

Derrière les baies vitrées de leur atelier, ils sont une dizaine à nettoyer la vaisselle, réparer les vélos ou la reliure d’un roman. Tels des cuisiniers au centre de leur restaurant, ils opèrent sous le regard intrigué du public de l’Objèterie de Lannion. Entre leurs doigts, des objets en tout genre, attendant sagement de se refaire une beauté pour être vendus quelques jours plus tard. Quant à celles et ceux qui s’en occupent, eux restent un peu plus longtemps. Dix mois en moyenne, le temps nécessaire pour rebondir.

« J’ai fait six mois dans la rue  »

Côté objets, ce sont les Lannionnais qui les déposent aux portes de la Recyclerie. Cédric et Jonathan se chargent alors de les accueillir. Le premier travaille ici depuis un mois, tandis que le second n’en est qu’à son premier jour. « Je gardais mon enfant depuis trois ans, il fallait vraiment que je me remette à bosser, explique Cédric. J’ai donc trouvé ce poste via ma conseillère Pôle Emploi qui m’a présenté l’Amisep ». L’Amisep, c’est l’association qui réunit tous les travailleurs de la Recyclerie. Ils sont seize au total, tous et toutes en CDD d’insertion.

Pour son premier jour, Jonathan est chargé de la réception des objets. Il les pèse et les identifie via une petite étiquette. Lui était élagueur en CDI, un poste manuel en plein air, comme il aime. Mais vient un jour où un arbre lui tombe sur la tête. « À la sortie de l’hôpital, ma fille m’a demandé : papa, si tu meurs, je fais comment moi, se souvient-il. C’est là que j’ai compris qu’il fallait que je parte ». Sans emploi, Jonathan se retrouve dans une situation délicate durant laquelle il va brusquement encaisser une séparation et la mort tragique de sa deuxième petite fille. « J’ai fait six mois dans la rue, tout seul, je ne faisais rien. J’étais en galère et au point où j’en étais, ma plus grande peur était de sombrer dans l’alcoolisme ». Il finit par se rapprocher de l’Amisep. D’abord pour se loger, puis pour retrouver un travail. « Il ne faut jamais lâcher l’affaire, assure le petit gaillard tatoué, les larmes aux bords des yeux et la bouche tout sourire. Moi, c’est ma gamine qui m’a fait tenir et je n’ai pas le choix de remonter la pente pour elle ».

« C’est vachement gratifiant de recycler »

La Recyclerie, et la P’tite boutique annexe, sont ce que l’on appelle des « chantiers d’insertion », en partenariat avec Lannion Trégor Communauté (LTC). Installée depuis 2017 dans les locaux de l’Objèterie de Lannion, l’Amisep s’est engagée auprès de l’agglomération à recycler tous les objets déposés. « On trie d’abord tout ce que l’on reçoit pour voir ce que l’on doit nettoyer, réparer ou démanteler. Ensuite, les objets sont répartis par pôles : hifi/radio/informatique, menuiserie, cycle/moteur », illustre Maxime Griffon, responsable de la Recyclerie. Fin prêts, les objets retapés arrivent ensuite à la P’tite boutique où ils sont vendus à bas coup. Chaque jour, c’est une tonne d’objets qui arrive au magasin.

Pour les travailleurs, en découle une perspective écologique gratifiante ainsi que de nombreuses compétences à développer. « Il y a un côté vachement gratifiant à recycler, souligne Lydia qui ponce un tabouret. Et puis j’avais envie d’apprendre ce que l’on ne m’a pas appris quand j’étais petite, parce que je suis une fille ». Si la transmission des savoirs entre travailleurs est importante, l’entraide et la cohésion de l’équipe l’est tout autant. « On n’atterrit pas ici par hasard, on a tous une raison d’être là, décrit Lydia, passant maintenant à la peinture. Tout le monde ne se livre pas et on ne pose pas de questions. Mais bien sûr, on partage nos vécus entre nous ». L’implication des travailleurs de la Recyclerie a permis de traiter 317 tonnes de marchandise en 2020, malgré le contexte sanitaire. Un rendement conséquent qui devrait dépasser les 350 tonnes cette année, alors que l’objectif fixé par LTC était de 450 tonnes traitées d’ici 2022.

L’objectif c’est qu’ils s’en aillent !

À la recyclerie, les travailleurs retrouvent ou intègrent les codes du travail en entreprise. Des fondements indispensables dans l’optique de regagner le monde professionnel par la suite. « Le but ce n’est pas qu’ils restent chez nous et qu’ils s’installent pour de bon, explique Cordélia Grot, directrice des services d’insertion par l’activité économique et du pôle formation pour l’Amisep, en Côtes-D’armor et Morbihan. Nous ne sommes qu’un tremplin vers un autre emploi durable, un booster d’insertion ». Après la Recyclerie, Jonathan espère pouvoir monter sa propre entreprise spécialisée dans les espaces verts. Cédric, quant à lui, est en passe d’obtenir un CDI dans une boutique de bricolage. « L’année dernière, près de 70% des travailleurs en fin de contrat d’insertion ont retrouvé une situation pérenne », chiffre la responsable de l’Amisep. 

De belles perspectives pour ces individualités que les épreuves de la vie n’ont pas épargnées. Et Cordélia Grot de rappeler que « la frontière entre ceux qui avancent et ceux qui sont à l’arrêt est très mince. Personne n’est à l’abri des aléas de la vie ». La bonne nouvelle, c’est que cela fonctionne dans les deux sens : « un retour à la vie active est toujours possible, même pour les personnes les plus désespérées ». 

Paul Louault

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