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Budget déchets à LTC : L’impossible consensus

Au sein de Lannion-Trégor Communauté, le budget « déchets » est de plus en plus compliqué à gérer. Pour équilibrer les coûts et recettes, l’agglomération cherche d’autres sources de financement. Problème : aucune solution n’est viable sur le long terme, et toutes présentent des inconvénients.

Depuis dix ans, le tonnage de déchets par habitant a augmenté de 7 % chaque année sur le territoire de Lannion-Trégor Communauté (LTC), dans les Côtes-d’Armor. En conséquence, l’équilibre budgétaire est de plus en plus difficile à tenir face aux nouvelles contraintes (législatives, réglementaires, sociales…), malgré un budget de fonctionnement serré : 15,7 millions d’euros, soit 2,3 millions de moins que 2019. Ce système de financement n’est plus adapté à la réalisation des nouveaux objectifs environnementaux. Par ailleurs, les recettes reposent à 82 % sur la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM). 

Seulement, les taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ont peu, voire pas augmenté depuis dix-huit ans. François Prigent, élu en charge des déchets et maire de Lanvellec estime qu’elles « n’ont pas bougé depuis 2003. Elles ont été conservées en leur état. Ils avaient un taux de 12 % environ. » Mais c’est quoi, la TEOM ?



Moins connue que la taxe d’habitation ou la taxe foncière, la TEOM fait partie intégrante de la fiscalité locale. En 2018, trois quarts des communes françaises finançaient leur service d’enlèvement et de traitement des déchets par cet impôt. Cela concerne environ 56 millions d’habitants. Les autres collectivités optent soit pour une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM), soit une retenue sur leur budget général. Sur le territoire de LTC, les taux varient de 9,73 % à 16,99 %. « Après, les bases d’imposition ne sont pas les mêmes selon qu’on habite à Perros ou Louannec par exemple », précise François Prigent.

L’impasse de la T.E.O.M.

L’augmentation des taux de T.E.O.M. présente deux écueils pour les élus locaux. D’une part, parce que c’est une décision très impopulaire ; les habitants ne veulent pas payer plus pour leurs déchets. Voter pour une telle mesure pourrait représenter un handicap politique pour les maires et conseillers communautaires. D’autre part, parce que le Code général des impôts plafonne les taux de T.E.O.M. depuis “l’arrêt Auchan”, voté en 2014 :

« […] La TEOM est destinée à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n’ayant pas le caractère fiscal. Il en résulte que le taux de TEOM doit être fixé de telle manière qu’il ne procure pas des recettes manifestement disproportionnées par rapport au montant des dépenses exposées par la collectivité locale pour assurer ce service. »

Code Général des Impôts, Arrêt Auchan, 2014
Il est donc primordial pour les élus locaux de plafonner les taux de T.E.O.M. en fonction des services rendus pour respecter la loi.

Un modèle de financement qui se dégrade

La TEOM a été instaurée en 1926 par la loi dite « niveau ». 95 ans après, ce mode de prélèvement connaît ses limites. Rémy Dufal est doctorant en droit public à l’institut de droit de l’environnement de l’université Lyon II. Selon lui, la taxe n’incite pas à la réduction des déchets: « Elle est complètement déconnectée de tous paramètres comportementaux et environnementaux. Elle ne représente pas du tout l’utilisation que les usagers vont faire de ce service. »

Depuis la jurisprudence Auchan en 2014, cette taxe devient de plus en plus compliquée à gérer : c’est désormais aux collectivités de régler les contentieux, d’assumer les conséquences d’un taux excédentaire de TEOM et d’en assurer le remboursement au besoin. Auparavant, c’est le Trésor public qui s’en chargeait.  

Depuis 2009, les collectivités ont le choix d’autres modalités de financement : La REOMi et la TEOMi.

Un mode de calcul inégal ?

Le mode de calcul de la T.E.O.M. est critiqué depuis de nombreuses années. Professeur d’économie à l’École des Mines, Matthieu Glachant soulignait dès 2003 que la base fixe – la valeur locative du logement – n’avait « rien à voir avec le niveau de consommation du service des déchets ». Doctorant en Droit public à l’institut de droit de l’environnement à l’Université Jean-Moulin Lyon 3, Rémy Dufal va encore plus loin et assure que cette base fixe « conduit à des inégalités ».
Concrètement, un habitant produisant 100 kg de déchets par année pourrait payer le même montant de T.E.O.M. que son voisin produisant une tonne de déchets chaque année.  Mais pour François Prigent, délégué en charge des déchets à LTC, c’est justement ce qui fait la force de la T.E.O.M. « Ce n’est pas le tout de dire que la TEOM est inégale. […] Là au moins tout le monde paye. »
Si l’Agglomération instaurait une redevance, elle créerait justement des inégalités, selon l’élu. « Il faut se dire que les résidents secondaires qui vont arriver sur le secteur – et qui ne sont pas les plus pauvres – vont avoir une redevance incitative. Eux ils ne vont pas produire pendant un certain temps […] On a besoin de cet argent-là. C’est trop facile de venir, de rester deux mois et de ne pas participer. »


En 2009, le Grenelle Environnement a mis en avant le terme de Tarification incitative (TI). La REOMi et la TEOMi sont donc composées d’une part fixe et d’une part variable, en fonction de l’utilisation du service. Le nombre d’habitants censé être couvert par cette TI est de 15 millions en 2020 et 25 millions en 2025. « Des objectifs loin d’être atteint, on est plutôt autour de 6 millions aujourd’hui », précise Rémy Dufal. Pourquoi tant de résistance de la part des agglomérations ? 



François Prigent justifie le choix de l’Agglo : « On a conservé la TEOM car on n’avait pas les moyens financiers de mettre en place une redevance. Ça demande un investissement financier non négligeable et pour l’instant, on n’en a pas les moyens. »

Pour les élus de l’Agglo, la redevance est synonyme de rentrées d’argent moins importantes… Et de pratiques illégales. François Prigent l’a bien compris : « Le gros problème de la redevance incitative, c’est qu’on n’a pas tendance à tout mettre dans sa poubelle. Moins vous en mettez, moins vous payez. » Instaurer une R.E.O.M. pourrait ainsi conduire à une multiplication des dépôts sauvages…



LTC, coincé ?

La stratégie de LTC est différente de celle proposée par l’État. Elle résulte d’une volonté politique et financière, de ne pas impacter davantage le contribuable.

Contrairement à une tarification incitative, qui impacterait directement le budget des habitants, LTC a choisi de mettre en place une tarification pour le dépôt des déchets professionnels. Ce dispositif mis en œuvre à compter du 1er janvier 2022, résulte d’une discussion entre les représentants des professionnels, la CMA (Chambre de métiers et de l’artisanat) et la CCI (Chambre de commerce et d’industrie). Sur le principe de la tarification, les professionnels ne sont pas vraiment surpris puisque cela fait plusieurs années que le sujet est sur la table. LTC est même l’une des rares collectivités où ce principe n’était pas appliqué. Ce qu’ils pointent du doigt, c’est le manque de clarté de l’intercommunalité. Comment est calculé le prix au mètre cube des déchets ? Qui va l’estimer ? Est-ce que tous les équipements seront opérationnels ? Etc.

Tarification des déchets pros, décidée après décision du Conseil Communautaire du 29 juin 2021
Montage Capucine Collin

Depuis le 7 septembre 2020, une période « test » a lieu dans les déchèteries de LTC. Les professionnels peuvent y accéder par un système de badge, obtenu après signature d’une convention. Julien Pinaud, élagueur basé à Cavan, est remonté contre LTC.  Au-delà des dépôts sauvages que la mesure peut engendrer, il reproche le manque de clarté et s’interroge sur la façon dont va être estimé le m3 de déchets. Cela va se répercuter sur les usagers selon lui.



Lannion-Trégor Communauté rassemble 57 communes pour 118 000 habitants. L’an passé, 793 kilos de déchets ménagers assimilés (DMA) par habitant ont été produits. L’objectif à atteindre pour 2020 était de 530 kg/hab/an, selon la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV). Un plan de prévention des déchets est donc mis en place sur cinq ans afin d’abaisser la moyenne à 480 kg/an/habitant. Mais François Prigent ne le cache pas : « On va être contraint un jour ou l’autre d’augmenter les taux, il ne faut pas se leurrer. On arrive plus à boucler les budgets, c’est une tendance qui ne s’observe pas seulement dans le Trégor. » Pour lui, si la courbe ne tend pas à s’inverser, préserver un équilibre budgétaire se fera au détriment des investissements nécessaires à la réduction des déchets.

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